J'ai eu la
chance d'interviewer Soror Dolorosa avant leur spectacle
époustouflant au Festival SGM, Madrid. Andy Julia (chant),
Frank Ligabue (batterie), Hervé Carles (basse), Nicolas Mons
(guitare) et David-Alexandre Parquier, appelé DA (guitare) se sont
accomodés tant bien que mal dans le minuscule backstage de la salle
Gruta 77 pour répondre à mes questions. Merci
beaucoup au groupe, et voici l'interview...
Guillaume Renard
La tournée
Vous êtes en tournée depuis
la sortie du deuxième album, je voudrais savoir quelles sont vos
impressions sur cette tournée par rapport à la précédente.
Andy :
“No More Heroes” a été une transition pour nous. On est passé
d’un groupe pas vraiment regardé à un groupe que les gens
attendent. Ça a été l’album qui nous a fait évolué, on a
clairement senti l’avant et l’après. Du coup maintenant, les
conditions qu’on a en tournée sont bien meilleures, on a un retour
du public qui est multiplié par 2 ou 3. Quand on a passé du temps à
faire un album, à mettre tout ce qu’on pouvait dedans, ça fait du
bien d’avoir un tel retour. L’album a agi de lui-même
auprès de la presse, auprès de la fanbase qui a grandit, qui a
commencé a accrocher de plus en plus. Donc pour nous c’est un
album de transition… et on a aussi appris à composer de la musique
d’une autre manière. Tout ça nous amène à entrevoir les choses
de manière plus large, pour la scène aussi. Ça élargit notre
champ de vision.
Vous avez fait majoritairement
des festivals cette année, est-ce une formule qui vous convient
mieux qu’une tournée propre?
Andy:
Oui, pour l’instant c’est très bien pour nous les festivals, on
ne peut pas dire qu’on a une fanbase suffisament grande pour
pouvoir faire une tournée tous seuls et faire 200-300 personnes
comme dans toutes les villes où on a été. Les festivals restent un
excellent moyen de se faire connaître par le public, de rencontrer
d’autres groupes, il y a beaucoup de monde au même endroit au même
moment, il se passe une émulsion. Et puis c’est vrai que les
afters dans les festivals sont sympas aussi, parce qu’il y a
beaucoup de monde et on aime bien faire la fête, on aime les gens et
dans les festivals on rencontre du monde, c’est agréable.
Quels sont les morceaux que
vous préférez jouer sur scène ? Quelle est la réponse du public
par rapport à ces morceaux ? Etes-vous parfois surpris de la
réaction du public face à une chanson ?
Frank: Pour ma part, il
n’y a pas de morceaux que j’aime plus jouer que d’autres, il y
a quelques morceaux sur lesquels je prendrais bien du recul et que je
mettrais bien de côté parce que ça fait longtemps qu’on les
joue, mais comme les gens les attendent, ils forment partie de notre
set. Après, tous les morceaux du dernier album
sont très agréables à jouer, ils sont pêchus, ils sont “catchy”
et pour moi c’est un vrai plaisir de les jouer.
DA: Ils sont tous sur un
pied d’égalité en matière de plaisir qu’ils me procurent à
jouer. On tourne avec plus ou moins le même set, on organise les
morceaux plus ou moins de la même façon depuis le début de la
tournée, et c’est des morceaux charnière dans le set qui me
bottent particulièrement, comme “Silversquare”, par exemple, qui
arrive à un moment où j’ai eu le temps de me chauffer, c’est le
moment où j’oublie complètement ce qu’il y a à côté, et où
je pars complètement. J’ai découvert Soror quand j’avais 16-17
ans, avec le premier EP, je suis devenu complètement fan, et
forcément pour moi, jouer des morceaux comme “Beau Suicide”, que
j’ecoutais avec mes petits écouteurs en allant au lycée, c’est
incroyable ! En ce qui concerne les “hits”, je peux comprendre
Frank, mais en général on obtient tellement une putain de réaction
du public, que personellement moi j’adore ça.
Andy:
Ça dépend aussi beaucoup de la réaction du public, tu peux pas
trop prévoir ça. Des fois, tu vas jouer un morceau comme “Autumn
Wounds”, qui a été le plus diffusé en dancefloor, et quand on
commence on se dit “bon, ok, c’est reparti, on va jouer Autumn
Wounds”… et puis tu regardes les gens devant, ça se met à
danser, les gens attendant les paroles pour chanter en même temps,
ça te met la pêche, tu rédecouvres le morceau grâce au public. On
ne veut pas faire tout le temps le même concert, on fait des
concerts qui s’adaptent, c’est du live, on est un groupe de
scène, les morceaux ne sonnent pas toujours de la même manière et
la réaction du public agit sur notre comportement, notre perception
du concert, et on aime ça.
C’est l’avantage de ne pas
avoir de bandes enregistrées…
Andy:
On a deux morceaux qu’on joue avec des samples, mais c’est assez
léger.
DA: Et puis c’est
intro-outro, le premier et le dernier morceau. Il faut dire que sur
un live, c’est autant le public que le groupe qui fait vivre le
morceau.
Andy: C’est pour ça qu’on aime aller sur scène comme la première
fois, c’est toujours different. Si le public est froid, on essaie
d’en remettre une couche. Quand le public est chaud c’est la fête
absolue.
Avez-vous pensé editer un
bootleg? Avez-vous eu des propositions?
Andy: C’est une très
bonne question, parce que ça s’est fait un peu tout seul sur les
derniers concerts qu’on a fait, les gens ont enregistré d’eux-même
sans nous le dire, et sur une période de dix jours, j’ai reçu 3
lives différents (NDLR: Berlin, Milan, Vienne) qui ont
été enregistrés sur table et remixés et qui sont très bien. Ce
qui nous intéresserait serait de faire quelque chose à côté de
notre discographie, un album live soit d’un seul concert, soit qui
rassemble plusieurs concerts, et peut-être l’éditer en vinyle.
Les lives en vinyle c’est quelque chose que tu gardes dans ta
discographie et qui est très savoureux quand tu es amateur d’un
groupe, je pense que le public serait content. On y réfechit, ça
prend du temps d’écouter les lives, et de prendre du recul, pour
savoir si c’est ça qu’on veut laisser derrière nous… On a
aussi un bon live à Burg Stenberg et un autre à Paris à la soirée
du Boucanier, qui organise des soirées à Paris depuis 25 ans. Il
faut rassembler les morceaux, remasteriser, et peaufiner pour que ça
tienne vraiment la route.
Avez-vous encore beaucoup de
dates prévues pour cette tournée?
Frank:
On a encore des dates jusque septembre 2014.
Andy:
Au fur et à mesure de la tournée, les promoteurs nous contactent.
C’est une tournée lente, on joue avec des gens qui veulent
vraiment nous faire jouer. Les promoteurs parlent entre eux, ou nous
voient à un concert et nous contactent, et petit à petit on a de
nouvelles dates. On a des projets de concert à Athènes et à Rome,
et on prévoit une tournée de la Côte Est des US et Canada pour
2014. On veut être bien rodés avant pour ne pas se planter.
Vous êtes beaucoup suivis aux
US?
Andy: Ça commence, “No
More Heroes” marche bien aux US, c’est un album moins gothique
que “Blind Scenes”, moins triste et nostalgique. Il
reste profond mais avec une base rock plus catchy. C’est un album
plus varié, et les Américains aiment ça.
Quelle est leur reaction au
fait que des Français chantent en anglais?
Andy: Peut-être parce
qu’on utilise pas l’anglais de la même manière, généralement
ils sont touchés par notre utilisation de la langue, et ils
comprennent mieux notre sensibilité.
Frank:
L’accent français dans le rock plaît aux Anglophones, autant aux
Américains qu’aux Britanniques.
DA: Ça donne un côté
chic.
Andy:
Il faut assumer son accent.
Une anecdote sur cette tournée?
Andy:
Des anecdotes il y en a à chaque concert, on passe toujours
d’excellentes soirées…
Frank:
On a quand même fait un karaoké avec des punks dans un squatt en
Autriche ! A six heures du matin on chantait la BO de Dirty Dancing
avec eux!
Line-up
Comment s’est faite
l’intégration de Nicolas et DA au sein du groupe? Aviez-vous déjà
joué ensemble?
Nicolas: Moi, je suis
arrivé parce que le guitariste à l’epoque (NDLR: Emey)
n’était pas disponible pour la tournée avec Alcest en février
2012, et je l’ai remplacé au pied levé. Finalement
il n’est pas revenu, donc j’ai integré le groupe.
Hervé :
J’avais déjà joué avec Nicolas sur des concerts, et j’ai
suggéré à Frank, “on devrait l’appeler”.
Andy:
Ça s’est fait naturellement, par des liens qu’on avait dans la
vie. On ne pourrait pas faire un casting et des auditions sur
Facebook par exemple. Le côté humain doit être plus important.
Frank:
Il faut que les choses se fassent d’elles-même. On travaille comme
ça, il faut des rapports humains, il faut que ça soit sincère.
Pour l’intégration de DA, c’est difficile à expliquer parce que
même nous on ne s’en souvient pas…
DA:
On s’était déjà croisés, et c’est Steph de Alcest, qui
m’avait recommandé. A la base je devais faire le son pour une
tournée, et devenir l’ingé son de Soror, comme j’ai une
formation d’ingé son. Finalement ça ne s’est pas fait, j’en
suis content aujourd’hui, parce que je ne serais pas guitariste.
Après la tournée avec Heirs, le groupe a envisagé de
prendre le guitariste de Heirs dans le groupe, mais c’était
compliqué, il habite en Australie. Du coup, Andy m’a envoyé un
message, “j’ai entendu dire que tu es un bon guitariste, viens”.
Pour moi c’était incroyable ! Et voilà, j’ai du répéter une
fois avec le groupe, et je me suis retrouvé à Milan en concert...
Mais je vous avais déjà contacté il y a quelques années pour
proposer mes services comme deuxième guitariste…
Andy: C’est vrai?
DA: Oui, tu m’avais
gentiment répondu que non… (Rires)
Frank: Ah, c’etait toi?!
Nouvel Album
Andy: On travaille sur le
nouvel album en ce moment, énormément. On va
encore faire évoluer le groupe, on suit l’inspiration du moment.
L’album sera probablement plus long, plus immersif.
Frank: Il devrait plus
sentir la fumée et la poussière que le précédent.
Andy:
“No More Heroes” est poétique, nocturne et urbain, il décrit
des scènes coincées dans la ville. Avec le
prochain album, le regard se pose plus loin vers l’horizon. C’est
plus éthéré, plus impersonnel, mais plus fort au niveau
émotionnel. Ça aura un style plus épuré, de nouvelles
sonorités. C’est un acheminement classique après un disque très
“rempli” comme le précédent, qui ne donne pas de répit. Il y
aura un plus grand contraste entre les morceaux avec des moments très
intenses, et d’autres où l’intensité se relâche complètement.
On laisse le temps à l’album d’évoluer.
Frank:
Je pense que jusque “No More Heroes” on a écrit des chansons, et
qu’avec ce prochain album, on commence à écrire de la musique. Il
y a plus de cohérence, plus d’émotion, sans chercher une
diffusion sur les dancefloors, avec des arrangements plus fouillés.
Plus un album qu’un recueil de chansons.
Qui assurera la production?
Andy:
Même producteur (NDLR: Benoît Roux aka
Mr. Xort )
Vidéos
Vous avez choisi des morceaux
assez sombres et intimistes pour les vidéoclips. Pourquoi ce choix?
Des morceaux plus “catchy” auraient sûrement attiré plus
l’attention?
Andy: C’est vrai. En
fait le réalisateur qui s’est penché sur notre son (NDLR:
Toshadeva Palani), et nous a proposé de faire des vidéos,
s’est penché plus sur le côté artistique du groupe. Il a choisi
le côté subjectif et intérieur du rapport qu’on a à la musique,
plus que le divertissement ou le côté “catchy”. Il a appliqué
un regard de cinéaste sur la musique, c’est pour ça qu’il a
choisi ces morceaux là. Ça m’a paru assez logique que nos
premiers clips soient très profonds et artistiques. Si le besoin se
fait de faire des clips plus commerciaux, on les fera. Mais
pour l’instant on reste proche du propos, même par rapport aux
paroles. Aucun aspect n’est laissé à l’écart et c’est
important pour nous.
Vous lui avez laissé carte
blanche?
Andy:
Oui, on a discuté, on a échangé des mails, mais on ne l’a pas
rencontré. C’est un jeune réalisateur, il vit aux Etats-Unis, à
Providence. Il a mis son talent, et comme c’est un jeune
réalisateur, on n’a surtout pas voulu le brider. Il s’est lâché
et c’est une bonne chose parce que ce sont des morceaux longs et
lents, pas faciles à “cliper”. Ce sont de belles histoires qui
tiennent la route, avec des propos qui peuvent concerner tout le
monde et qui sont en adéquation avec les paroles. On a privilégié
le côté artistique, qui peut être plus difficile à comprendre,
mais d’après le retour du public, on sait que les gens le
comprennent.
Avez-vous prévu un autre clip?
Andy:
Pas pour l’instant.
Projets
parallèles
Andy, tu chantes sur le premier
album de LowCityRain, le superbe “Nightshift”. Comment s’est
faite la collaboration?
Andy: Markus de Lantlôs,
était venu à Paris avec Neige (NDLR: de Alcest), parce que
Neige jouait avec Lantlôs, et il nous avait vu sur scène à
Oberhausen. Il avait beaucoup aimé le concert.
Quand Markus s’est lancé dans la New
Wave et a ouvert ses perspectives musicales, il m’a propose de
faire les voix sur une des chansons. Il a un style vocal assez
intimiste et grave, et il cherchait des voix plus fortes et claires.
Je l’ai fait avec plaisir parce que je trouve son album très
très bon. Il m’a aussi demandé de faire les photos pour la
pochette de l’album, ce que j’ai fait aussi avec plaisir parce
que j’ai été très inspiré par l’album. Collaborer
entre musiciens, c’est toujours une bonne chose quand on se
comprend.
Avez-vous d’autres
collaborations en cours, en tant que groupe?
Andy:
On va certainement faire un split EP avec Liar in Wait, qui est un
side project cold-wave de Nachtmystium, un groupe américain de métal
psychédélique. Ils sonnent très bien, et ils nous ont demandé de
faire un split EP. Pour l’instant c’est en pourparlers.
Et chacun de votre côté, avez
vous des projets musicaux?
DA:
Au cours des concerts que j’ai fait, j’ai rencontré d’autres
musiciens, avec lesquels on a trouvé des points communs et des
connections. Je bosse avec la chanteuse du groupe anglais Phosphor,
qui fait de la Cold Wave, sur un projet qui s’appele Luminance et
on s’entend très bien.
Andy:
Je fais des percussions dans Dernière Volonté. C’est un groupe de
New Wave-Military-Pop-Synth-Wave. Je continue à faire des concerts
avec Geoffroy (NDLR: Geoffroy D,
fondateur de Dernière Volonté).
Nicolas: J’ai un autre
projet, L’Oeil, dont je ne suis pas le principal acteur. C’est
en stand-by, mais on reprendra dès que possible.
Vous êtes très
presents sur les réseaux sociaux, comment vous en servez vous pour
Soror Dolorosa?
Andy:
On tâche d’être présents, et intéressants, c’est-à-dire
donner des choses à voir et à entendre qui sont purement et
simplement liées à ce qu’on fait, et pas donner une image
différente sur le réseau social parce qu’on est dans la réalité.
Ça permet aux fans qui apprécient les albums d’aller un
peu plus loin.
Goûts musicaux
Si vous aviez la possibilité
de reformer ou de ressusciter un groupe pour le voir sur scène, quel
serait votre rêve?
Frank:
Led Zep!
DA: Slowdive
Nicolas: Moi, les Doors!
Hervé:
Moi, les Lords of the New Church!
Andy:
Moi aussi, les Lords…
Hervé:
Et Led Zep aussi, et Black Sabbath le live à Paris de 1970, quand tu
vois les images du live, Bill Ward qui tape, qui rentre dans les
peaux, c’est LE son!
Quelles sont vos dernières
découvertes musicales? Ecoutez-vous des
nouveaux goupes?
Hervé: J’ai du mal avec
les nouveautés. Pour que quelque chose qui vient de sortir me
plaise, il faut vraiment qu’il se passe quelque chose, c’est
devenu très rare. J’écoute toujours Deep Purple, Joy Division…
D-A: T’es un vieux con
!! (Rires)
Frank: Avec le bagage
qu’on a, on a pas encore digéré tout ce qu’on connaît…
Andy: J’écoute pas mal
de nouveautés, je consomme énormément de musique, il y a pas mal
de choses qui m’ont plus dernièrement, notamment sur le label
Italians do it better, c’est un label américain qui fait une
espèce de mélange de dreampop, chill-wave, cold-wave. Ça
mélange des sons froids des 70´s ou 80´s, mais à la sauce
actuelle, assez naïf et direct. Le groupe Chromatics par exemple m’a
beaucoup marqué dernièrement.
D-A:
Je consomme énormément de musique aussi, dans les groupes actuels,
je reste bloqué sur Phosphor, que je trouve terriblissime, j’écoute
leur album en boucle…
Nicolas:
J’ai mes groupes cultes qui sont Nine Inch Nails, Cocteau Twins, et
Dead Can Dance. Ce sont les trois groupes qui m’ont retourné et je
reste bloqué dessus…
Hervé: Un groupe que
j’écoute c’est Marduk, un groupe de métal.
Avez-vous
quelque chose à rajouter pour les lecteurs de This is Gothic Rock ?
Andy: Je
voudrais rajouter, spécialement pour les lecteurs qui ne nous
connaissent pas ou peu, que nous ne sommes pas un groupe revival
80’s, on n’en a rien à foutre de ça, on fait juste ce qu’on
sent sur le moment, et si on nous compare à un revival 80’s, je
crois que c’est surtout parce que les groupes suivaient leur
instinct à cette époque. Ils ne cherchaient pas à se sentir
accollés à une scène ou à être sur telle page de tel magazine,
ils faisaient ce qu’ils sentaient, et c’est ce qui fait les
périodes intéressantes en musique. On fonctionne exactement de la
même manière, et on en est fiers.